lundi 10 décembre 2012

"M..." épisode 2


Je travaille avec « M… » depuis plusieurs mois, maintenant. La confiance s’est installée aussi bien avec elle qu’avec ses parents.
Sa maman, en particulier ne tarit pas de remerciements.
Elle voit sa fille s’ouvrir et retrouver peu à peu le sourire.

Le chemin de l’école est pourtant encore loin

Les contacts de la maman avec le CPE et le chef d’établissement l’inquiétaient systématiquement au point qu’elle était dans un état de stress et d’angoisse quasi permanent.
Elle avait peur d’avoir des ennuis sans bien savoir ce qui pourrait arriver…

Les relations de sa fille avec son père rendaient la situation également difficile…

J’ai commencé, comme je le fais avec chaque jeune, par travailler avec « M… » sur une projection dans son projet de vie…
Pour cela, il est nécessaire d’être à l’écoute de ce qu’il est, de ce qu’il aime, de ce qu’il aime être et faire, de ce qu’il aimerait être et faire.

Rien n’est impossible… chaque petite marche amène à l’objectif final.
Envisager l’objectif final, l’avoir toujours à l’esprit, c’est permettre au jeune de découper la progression en petites marches à gravir.

En ce qui concerne « M… », l’objectif final est de devenir toiletteur ou éleveur de chiens et de chats.

Pas de mensonge, bien sûr, toute profession nécessite une formation.
Même en apprentissage, il y a des cours à suivre.

Mais première marche, sortir de la maison…
Parce que, je le rappelle, « M… » n’était pas sortie de chez elle depuis juillet.
Même avec ses parents…

Lors de notre première rencontre, « M… » m’a parlé du fait que lorsqu’elle ne comprenais pas quelque chose et qu’elle posait des questions, elle n’obtenait pas de réponses à ses questions.
Manque de sens ?
Vraies questions ?

Toujours est-il que j’ai bien vu qu’elle avait un vrai niveau de troisième standard…
Elle n’aime pas les maths mais elle a de vraies capacités, notamment en français qu’elle utilise avec ses codes de jeunes dans  la mesure où cela lui permet de communiquer de vraies choses qui ont un vrai sens.
Par contre, elle aurait une capacité à adapter son discours écrit, de même qu’elle adapte envers moi son discours oral puisque je ne fais pas de jeunisme ou de copinage.

J’ai sa confiance et son respect et elle me dit les choses, même si elle est toujours un petit animal sauvage avec lequel il ne faut pas commettre d’erreur…

Au début de l’année, par rapport au travail scolaire, la famille était allée chercher les devoirs à faire à plusieurs reprises, sans que rien ne soit prêt.

Au mois d’octobre, j’ai eu un message sur mon répondeur : le médecin scolaire aurait souhaité me parler de « M… » et me demandait de prendre contact avec l’infirmière scolaire de l’établissement.

Je n’interviens jamais dans les établissements, sauf à la demande de celui-ci.

J’ai pris rendez-vous avec l’infirmière scolaire.
Même si mon temps n’était pas rémunéré, j’ai préféré la rencontrer.
L’infirmière m’a confirmé qu’en ce début d’année, elle avait bien vu que « M… » n’était plus la même. Elle a par ailleurs promis de veiller à ce que les devoirs soient préparés.
Vers la fin de notre conversation, le chef d’établissement est passé dans le bureau et nous avons convenu qu’il me contacterait pour que je vienne discuter du cas de « M… » avec lui.
Quelques semaines plus tard, je l’ai rencontré. 

Alors qu’au début, il était assez sceptique, notamment en raison du fait que, suite à un quiproquo, les devoirs attendaient depuis plusieurs semaines à l’accueil du collège (mais j’ai montré que « M… » travaillait sur des livres spéciaux du genre « devoirs de vacances pour toute l’année »), la conversation s’est terminée par une véritable compréhension et  de vraies propositions de sa part.

En cas de phobie scolaire, je suis contre les emplois du temps aménagés car je considère que le jeune se sent redevable de l’effort que l’établissement fait pour lui et se sent doublement coupable s’il ne réussit pas à remplir sa part de marché.

Cependant, dans ce cas, il s’agit d’une vraie proposition : signature d’une convention de stage d’observation dès que « M… » se sentira prête et ensuite, entrée dans un programme d’alternance particulier : trois jours entreprise, deux semaines à l’école avec des cours et des exercices en relation directe avec les apports du stage.

J’étais satisfaite de pouvoir rapporter ces choses positives à la maman qui, reprenant confiance, a eu un discours positif qui redonnait également confiance à sa fille.

J’avais bon espoir d’avancer vraiment mais une semaine plus tard, l’infirmière scolaire a téléphoné de la part du médecin scolaire en exigeant de rencontrer « M… » et sa maman, au collège, le mardi suivant.

La jeune fille a passé une semaine sous pression.

L e jour du rendez-vous, alors que sa mère lui demandait encore de bien vouloir l’accompagner, elle a vu sa fille blanchir et se mettre à trembler.

La maman a présenté au médecin scolaire un écrit de « M… », rédigé à ma demande et dont je n’ai rien voulu corriger.
Elle y explique ce qu’elle ressent à l’idée d’aller à l’école et de sortir de chez elle, elle explique ce qui ne va pas.

Cela n’a pas convaincu le médecin scolaire qui maintient l’idée que « M… » est un enfant roi qui doit faire un effort. Elle a exigé de lui parler au téléphone pour lui faire la morale jusqu’à ce que la maman coupe court à cette conversation à sens unique en entendant sa fille pleurer.

En sortant du bureau, après avoir été menacée des services sociaux et reçu les coordonnées d’un psychologue, elle a demandé à voir le chef d’établissement qui lui a répété mot pour mot ce que je lui avais relaté.

Depuis, « M… » a malheureusement reculé de quelques cases et nous lui avons caché un appel de l’infirmière scolaire qui insiste de la part du médecin pour qu’elle réintègre le collège au mois de janvier.
Je vais tenter de l’emmener voir un psychologue qui pourra poser officiellement le diagnostic de phobie scolaire, de façon à ce qu’elle puisse bénéficier d’enseignement à domicile.

Plus l’établissement mettra la pression, plus longue sera la route…

lundi 3 décembre 2012

Souvenir de "L..."


« L… » était un de mes élèves au collège.

Ce n’était pas un cas de phobie scolaire mais j’ai envie d’en parler pour montrer une situation conflictuelle.
Ici, les deux interlocuteurs sont un enseignant et un élève…

« L… » était un élève de 3ème, souriant, gai…
Il n’aimait rien tant que de faire des blagues, jamais méchantes, parfois envahissantes… Il ne choisissait pas toujours bien le moment de faire des vannes.
Je l’ai vu une fois ramper dans la salle de permanence, juste pour rigoler…
Bref, c’était une amusette.

C’est un fait que cette attitude n’était pas propice à la concentration, la sienne ou celle des autres…
Il avait des possibilités mais les résultats étaient assez catastrophiques.
Ses parents ne le cautionnaient pas mais ils voyaient bien que les observations dans le carnet et les retenues multiples ne le faisaient pas changer.

« L… » n’aimait pas le cours d’allemand, sans doute parce que le sérieux de l’enseignante s’accordait mal avec son profil ludique. Il s’y ennuyait, était complètement coulé et devenait rapidement gênant.

Dans le collège, il y avait parfois des problèmes de violence entre ados et, suite à une insulte d’une élève envers un adulte, il avait été décidé que tout acte de violence d’un élève envers un autre ou toute insulte envers un adulte entraînerait l’exclusion immédiate de ½ journée à 2 jours, selon la gravité des faits + 2 règlements à copier à la maison.  
Je trouvais que ce système avait au moins le mérite de laisser moins de place à la subjectivité que le vide mais je regrettais que le travail soit bêtement un règlement à copier.

La plupart du temps c’était moi qui appelais la famille lorsqu’il s’agissait d’une bagarre et je veillais à faire une médiation même si à l’époque je n’avais pas encore tous les outils pour cela mais : je les recevais individuellement, puis ensemble dans le but que leur conflit ne reprenne pas de plus belle à leur retour.

Il est un autre cours où les choses se sont très mal passées pour « L ».
C’était pourtant une matière qui aurait dû représenter une bulle d’oxygène dans la semaine mais il n’était pas le seul élève de troisième à s’en plaindre.
L’enseignante mettait un cadre, des règles, mais il semble que dès que les élèves avaient accepté ce cadre, elle le resserrait encore plus.

Un jour « L… » devait lui présenter son carnet. Elle voulait lui mettre une observation parce qu’il était allé en étude au lieu de venir en cours.
Comme il refusait de le lui donner, elle l’a menacé d’une retenue et il a répondu « j’en ai rien à f… ! »
Maladresse de communication sans aucun doute !
« L… » avait perdu son sourire depuis longtemps dans ce cours…

L’enseignante a lâché ses élèves pour aller téléphoner aux parents en disant qu’il l’avait insultée.

Elle avait toujours interprété l’attitude amusette de « L… » comme un manque de sérieux, lui avait prêté l’intention de perturber son cours et avait essayé de le contraindre à changer à coup de retenues et d’observations, sans succès.
« L… » de son côté, pensait que l’enseignante ne l’aimait pas, qu’elle n’avait qu’un but, le faire renvoyer et faisait de la résistance en allant en étude en disant que de toute façon, la prof disait qu’elle ne voulait plus de lui.  

Quand le père est arrivé, il a dit qu’il savait bien que son fils n’était pas un ange mais qu’il ne comprenait que l’on veuille exclure son fils car il n’avait pas insulté l’enseignante.
Il a fallu que je compose avec lui, puisqu’il avait raison : c’était une interprétation de la nouvelle règle, un abus de pouvoir…

Bien sûr, tout comme le père, j’ai dit à « L… » qu’il aurait mieux valu qu’il n’aie pas cette parole malencontreuse et je l’ai officiellement exclu de ce cours jusqu’à la fin de l’année en l’obligeant à réviser, en étude, ses matières de brevet et l’allemand, à la place.

L’enseignante a trouvé que c’était trop facile.

Moi j’ai préféré lui éviter de se faire taper dessus par un ado qui n’avait absolument aucune propension à la violence mais qui était au bord de péter les plombs !...

samedi 1 décembre 2012

"M..." épisode 1


« M… » est une jeune fille que j’ai rencontrée au mois de septembre, c’était juste après la rentrée… Elle avait alors 13 ans ½.

J’avais envoyé un courrier à de nombreux médecins généralistes, leur proposant de prendre connaissance de mon activité et de donner mes coordonnées aux parents d’adolescents qui rencontraient un problème pour lequel la réponse ne pouvait pas être uniquement médicale.

C’est ainsi que la maman de « M… » a découvert mon existence et m’a téléphoné, en larmes, me disant que sa fille était allée au collège, le jour de la rentrée, s’était très vite retrouvée à l’infirmerie et, depuis, ne voulait plus y retourner.

Je commence toujours par faire, ce que j’appelle un « entretien de diagnostic », qui dure entre 1 h 30 et 3 heures. Lors de cette rencontre, j’ai un dialogue avec les parents, puis, en tête à tête avec l’ado. Enfin, nous décidons ensemble de poursuivre par un accompagnement, une ou plusieurs heures par semaine, selon les possibilités des personnes.

Les parents, quel que soit le cas, me disent toujours : « je ne sais pas comment vous avez fait, il ou elle ne veut parler à personne, d’habitude !

Lorsque je suis arrivée, « M… » avait filé dans sa chambre.
Ce n’était pas plus mal : il fallait que sa maman puisse exprimer ses inquiétudes, ses angoisses. Il fallait qu’elle puisse pleurer, me raconter à quel point elle était démunie de voir sa fille souffrir et qu’elle était blessée d’entendre le CPE dire : « Ah non, ça ne va pas recommencer comme l’année dernière ! »
De fait, en 4ème, « M… » avait commencé à avoir quelques problèmes de comportement, à avoir des punitions et des remarques, à se rebeller et à faire l’école buissonnière…

Et oui ! Le problème, c’est que ça commence pratiquement toujours comme ça !
Si l’origine de la phobie scolaire n’est pas le harcèlement ou le racket, le jeune commence par exprimer son malaise en faisant des bêtises…
Ce sont des maladresses de communication. Ils essayent de contraindre les adultes à entendre leur point de vue, même s’ils ne savent pas vraiment ce qu’ils veulent exprimer… : ça ne va pas c’est tout, ou plutôt c’est trop.

En faisant l’école buissonnière, cette adolescente ne voulait pas aller s’éclater avec ses copines mais échapper à l’angoisse.
Du reste, elle n’était pas sortie de la maison de tout l’été, elle ne pouvait plus sortir…

Ce premier jour, « M… » a accepté de descendre me parler après que sa maman soit allée lui dire quelques mots bien choisis de ma part.
Elle était recroquevillée, elle détournait la tête, mais peu à peu j’ai gagné sa confiance.

Elle a compris que je ne venais, ni la juger, ni la contraindre, mais l’aider.
Et ce qu’elle voulait, c’était ça : qu’on l’aide à surmonter cette angoisse.

Elle m’a expliqué les choses à sa façon, de son point de vue, légitimement différent de celui des enseignants, du principal…, j’y reviendrais.

Elle a finalement accepté ma proposition de travailler ensemble.

Les premières fois, la maman de « M… » avait caché à son mari que mes prestations étaient payantes, elle utilisait une partie de son propre salaire pour venir en aide à sa fille car le papa de « M… » était très remonté contre elle ; il voulait la contraindre à retourner à l’école en l’accusant d’être paresseuse…
Je l’ai rencontré à la fin de ma deuxième visite et là, il m’a exprimé une chose très intéressante : « ce que je n’aime pas chez elle, c’est qu’elle ne sait dire ni bonjour, ni au revoir ! » et de fait, « M… » baisse la tête lorsqu’on lui dit l’un ou l’autre, et elle ne répond pas.
Ce à quoi j’ai répondu : « ce que vous ne savez pas c’est que votre fille est timide. »
J’ai ajouté que pour lui, c’était sans doute inimaginable car elle se sentait très à l’aise et en confiance avec son père, suffisamment pour blaguer ou répondre…
Mais face aux autres adultes, c’était autre chose…
J’ai eu un élève comme ça : à chaque fois qu’il se faisait disputer, et ce n’était pas rare, il affichait un petit sourire en coin que tout le monde interprétait comme de l’insolence.
En fait, il ne savait pas comment réagir : il était tout simplement gêné !

Fin de l’épisode 1 de mon travail avec « M… ». Je vous raconterai la suite bientôt, car, bien sûr, l’histoire continue.
Je vous parlerai des avancées et des freins
Mais peut-être que certains d’entre vous se reconnaissent déjà en elle ou en ses parents !

A mes anciens élèves, à mes coachés et tutorés...

Vous êtes tous les bienvenus sur ce blog !


Je dirais même que vous y êtes indispensables !!
Et vos parents aussi.

Alors n’hésitez pas à commenter, alimenter, compléter…

Mais je vous demande deux choses :
Ne citez pas de noms de famille
Et, comme j’ai essayé de vous l’apprendre : tenez-vous en aux faits

En d’autres termes :
Ne dîtes pas : « Mme Untel était une grosse c… ! »
Dîtes, plutôt : « lorsque la prof me disait « ça », je ressentais « ça »

D’abord, cela m’évitera des ennuis et à vous aussi !
Car certains se reconnaîtront, c’est sûr !

Ensuite, et surtout, je ne veux pas que l’on vous stigmatise, que l’on vous accuse, que l’on vous juge…
Mais je ne veux stigmatiser, accuser ou juger personne.

Je veux juste que ce blog soit notre journal, que l’on y partage des souvenirs, bons ou mauvais…

Je voudrais que chacun puisse y échanger et faire avancer les mentalités de ceux qui nous connaissent comme de ceux qui ne nous connaissent pas.

Pour que la phobie scolaire, le mal-être, la colère, la culpabilité reculent…

A nous de jouer !!

En préambule

Longtemps surveillante, puis CPE, je travaille depuis 25 ans dans l’éducation.
Depuis plus d’un an, j’ai créé mon activité de Médiateur de Vie Scolaire Indépendant.

J’en avais assez de passer mon temps à chercher des cartables perdus, refaire des cartes de cantine, pondre des circulaires, négocier des changements d’emploi du temps…
Mais surtout j’en avais assez de mettre des retenues de la part des enseignants, d’enregistrer des avertissements décidés aux conseils de classe…

Tout cela faisait partie de mon travail mais j’aurais voulu que ce soit plus constructif
J’aurais voulu ne plus entendre dire « j’en ai marre de ces petits br… ! », ni « il faut les virer ! »

J’enrageais de voir des adultes réagir par la violence verbale par ailleurs interdite et reprochée aux adolescents.
Je me disais que, bien sûr, les enseignants ne sont pas formés comme moi je le suis mais il me paraissait tellement évident que les élèves étaient jeunes et que par conséquent ils n’étaient pas finis en tant qu’humains.

J’aurais voulu que les adultes, au lieu de les punir d’une façon qui développait en eux un sentiment d’injustice (surtout quand ils s’entendaient dire qu’ils étaient mal élevés…), prennent une sanction éducative, relative à l’acte reprochéet non à la personne.

Je reconnais que dans certaines familles, les erreurs d’éducation existent mais combien de fois j’ai entendu des adultes partir de ce principe sans rien connaître des parents…

Depuis que j’ai complété ma formation de CPE par une formation de Médiateur Professionnel, je vois les choses autrement : comme les élèves, comme les parents, les enseignants, les personnels d’éducation, de service…, sont des humains qui font des prêts d’intention, des interprétations, imposent des contraintes…

Tous ont un point de vue légitimement différent de celui de l’autre, tous sont animés de bonnes intentions…vis-à-vis d’eux-mêmes et tous sont maladroits dans leur communication.

Je reviendrai sur cela tout au long de ce blog, au fur et à mesure des portraits de ces jeunes, phobiques ou qui auraient pu le devenir.

Mon formateur nous a offert une proposition :

« Il y a deux manières de regarder l’humanité : l’individu est un problème ou l’individu aspire au bonheur »

J’en ai fait un syllogisme :

« Il y a deux façons d’envisager l’humain
L’humain est un problème…
         L’humain aspire au bonheur…
L’élève est un humain
Donc il y a deux façons d’envisager l’élève… »

Je vais donc vous raconter comment je les envisage…